Fin décembre, le gouvernement français a donné son accord pour le projet de construction contestée d’une autoroute entre Annemasse et Thonon. Un projet vieux de 30 ans annulé par deux fois, en 1997 et 2010.

Cette « transchablaisienne » de 16,5 km devrait être réalisée « sous concession avec mise à péage ». C’est à dire que la construction et la gestion de l’ouvrage seraient déléguées à une grande entreprise privée, qui monnayera le passage. Clairvoyant sur la possibilité que l’affaire ne soit pas rentable pour l’opérateur, le Conseil départemental de la Haute-Savoie s’engage à payer une subvention d’équilibre, ou en d’autres termes une aide financière publique. Un partenariat public-privé qui ne dit pas son mon en quelque sorte.

Au-delà du financement, ce qui heurte les associations écologistes et même la Ville de Genève, c’est que le tracé autoroutier suit la ligne L1 du train Léman Express à peine inauguré, et que la construction de nouvelles routes crée automatiquement de nouveaux déplacements automobiles. Une concurrence nuisible, « alors que la fin du tout-voiture a sonné », estime le natif du Chablais Alain Coulombel, aujourd’hui porte-parole d’Europe Ecologie Les Verts.

Portion Perrignier-Machilly.

Un habitant de la commune de Sciez-sur-Léman considère pour sa part que les travailleurs des communes lacustres du Bas-Chablais qui souhaitent se rendre à Genève « ne feront pas le détour jusqu’à Perrigner pas chercher l’autoroute. Ils continueront à utiliser la route départementale 1005 traversant Douvaine. Nos élus feraient mieux de s’activer pour le bus à haut niveau de service et la construction des parking-relais! »

À Thonon, un usager du réseau ferroviaire pointe du doigt la mauvaise volonté de la France quant au bon fonctionnement du Léman Express: « certaines parties des lignes savoyardes datent du XIXe siècle. Il faut sans plus attendre les moderniser et passer en double voie ferrée entre Annemasse et Evian. Et enfin réhabiliter la ligne du Tonkin entre Evian et Saint-Maurice en Valais pour les passagers. Ça, c’est un vrai désenclavement du Chablais pour le XXIe siècle! C’est là où il faut mettre l’argent plutôt que de les donner aux rentiers d’une compagnie autoroutière privée! »

Dans le quotidien Le Temps, Anne Lassman-Trappier, présidente de l’association chamoniarde Inspire juge durement la décision de l’Etat au moment de la mobilisation générale pour le climat rappelant que ce sont « 500 véhicules de plus par jour aux heures de pointe » qui circuleront et qui « vont rejoindre les 20’000 qui actuellement circulent. Ce chiffre n’est pas le nôtre, il apparaît noir sur blanc dans la déclaration d’utilité publique ». souligne-t-elle. Des véhicules qui iront plus rapidement bouchonner à Genève ou qui rejoindront la vallée de l’Arve, l’une des plus polluées d’Europe occidentale?

Au niveau de l’agglomération, c’est la Ville de Genève qui a lancé la bataille juridique contre le projet autoroutier en mandatant le cabinet d’avocats de l’ancienne ministre française de l’Environnement Corinne Lepage, spécialiste du droit environnemental, pour monter un dossier à charge en insistant sur le caractère « climaticide » du projet. Au niveau local, la principale organisation qui porte la lutte est l’Association de concertation et de proposition pour l’aménagement et les transports (Acpat). Dans Le Courrier, son président a annoncé le dépôt d’un premier recours qui devrait être suivi par d’autres. Et si cela ne suffisait pas, « nous ferons de mon jardin une ZAD (zone à défendre, ndlr) pour stopper les ­pelleteuses. »

Il faut dire que les surfaces agricoles seraient réduites au total de 38,50 hectares et morcelées de façon importante. A cela s’ajoutent 122 hectares d’espaces naturels non agricoles de très grande valeur écologique qui seraient également détruits. « A l’heure où le monde scientifique est unanime pour parler d’effondrement de la biodiversité à l’échelle mondiale (huitante pour cent d’insectes disparus en Europe), cela ne sera pas sans conséquence pour l’agriculture », communique la Confédération paysanne.

Les recours semblent faire perdre le sens de la mesure à certains défenseurs du projet, comme c’est le cas de Jean-Christophe Bernaz, président de l’association Oui au désenclavement du Chablais. Sur Facebook, il commente un article du Dauphiné Libéré: « Quelle honte. Nous allons nous occuper de ce Maire (de Genève, ndlr)!!!! (…) Il s’agit d’une déclaration de guerre à notre association (…) ». Et d’en remetre une couche dans Le Temps: « De quoi se mêlent les Suisses? C’est de l’ingérence internationale. Nous allons faire comme Trump en Irak ou en Iran et foutre le bordel là-bas avec des actions coups-de-poing! »

« Pas sûr que ces outrances guerrières et chauvines servent sa cause autoroutière », nous glisse un défenseur chablaisien de l’environnement.

Rien n’est encore gagné, donc.

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