Du 9 avril au 7 septembre 2025, le Musée Tinguely de Bâle présente dans une exposition personnelle l’installation vidéo  De tu puño y letra (By Your Own Hand) de la célèbre artiste états-unienne Suzanne Lacy. Il s’agit là de l’une de ses œuvres centrales abordant les violences liées au genre. Le travail de Lacy, pionnière dans l’art de la performance féministe et activiste depuis les années septante, combine art et engagement social. Elle fait notamment du viol son sujet, elle donne une voix publique aux personnes de genre féminin concernées et pose les causes patriarcales de cette violence. Ses œuvres relèvent de la Social Practice, elles sont souvent réalisées en collaboration avec les communautés locales et portent sur les injustices sociales: violence domestique, discrimination liée à l’âge et migration. Avec l’exposition Suzanne Lacy: By Your Own Hands, le Musée Tinguely rend hommage à une œuvre hautement pertinente due à l’une des artistes féministes majeures de notre époque et instaure en même temps un espace de réflexion, de dialogue et de responsabilité sociale.

L’installation vidéo reprend une performance participative et dialogique que l’artiste a réalisée en 2015. Lacy avait été invitée alors à concevoir une performance qui attirerait l’attention et la reconnaissance du public sur les lettres collectées dans le cadre de la campagne Cartas de Mujeres (2011-2012), projet lancé par la Ville de Quito, le Centro de Arte Contemporáneo de Quito, UN Women et l’organisme allemand Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit (GIZ) en Équateur pour lutter contre les violences faites aux femmes. La performance s’est déroulée à Quito sous forme d’événement en cinq actes, avec la participation d’environ 600 personnes de genre masculin, le 25 novembre 2015, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette intervention avait été précédée d’ateliers avec des hommes de tout âge sur la violence liée au genre et la construction sociale de la masculinité.

Les œuvres participatives de Suzanne Lacy montrent le pouvoir transformateur de l’art et son potentiel à susciter des débats de société. Comme l’une des principales voix du mouvement artistique féministe des années 1970, l’artiste a développé avec la Social Practice un nouveau modèle combinant art et action sociale. Très tôt déjà, dès le début des années 1970, le travail de Lacy a abordé le thème des violences sexualisées. En 1972, elle a monté la performance Ablutions (avec Judy Chicago, Sandra Orgel et Aviva Rahmani), l’une des premières œuvres d’art sur le thème du viol du point de vue des personnes de genre féminin. À souligner aussi, Three Weeks in May de 1977, une performance de trois semaines centrée sur les viols à Los Angeles (avec Leslie Labowitz et Ariadne: A Social Art Network). Avec ces premières œuvres, Lacy et ses collègues étaient des pionnières non seulement artistiques mais aussi sociales, car elles abordaient publiquement les violences liées au genre dans une perspective résolument féminine. Leurs travaux donnaient enfin voix aux femmes concernées et identifiaient les causes sociales et patriarcales de cette violence.

L’exposition au Musée Tinguely souligne toute l’actualité et la pertinence de ce sujet. La proximité spatiale entre l’installation vidéo et l’œuvre Mengele-Totentanz (1986) de Jean Tinguely pose là un accent particulier. Avec cette construction cinétique et austère, faite d’éléments carbonisés et d’ossements d’animaux, Tinguely (1925-1991) aborde les notions de violence et de mort d’un point de vue historique et personnel. Alors que la tradition médiévale tardive véhiculait la fugacité de toute vie humaine et l’égalité des individus dans la mort – du roi au mendiant –, il est clair aujourd’hui que les êtres humains sont très différemment concernés, en fonction de leur genre social, mais aussi de leurs ressources ou de leur appartenance ethnique. Les violences domestiques et sexualisées sont quotidiennes et largement répandues. Niki de Saint Phalle (1930-2002), seconde épouse de Tinguely et donatrice de la collection du Musée, a également été touchée. Dans son livre Mon secret (1994), elle fait état des agressions par son père dont elle-même a été victime à l’âge de 11 ans. Ses œuvres dénoncent les structures patriarcales et donnent à voir le rôle de la violence et des abus de pouvoir.

Suzanne Lacy, De tu puño y letra. Diálogos en el ruedo, 2015. Performance, Stierkampfarena Plaza Belmonte, Quito, Ecuador; Foto: Christoph Hirtz

Les féministes latino-américain·es restent pionnier·ères dans la lutte contre les violences liées au genre et les féminicides. En revanche, il a fallu attendre ces dernières années pour que la politique et la société, en Europe et en Suisse, se penchent davantage sur ce sujet. À travers des interventions, des tables rondes et un projet d’écriture participatif, le programme d’accompagnement s’intéresse à la situation locale et invite au dialogue. Pour ce faire, le Musée Tinguely coopère entre autres avec la Opferhilfe beider Basel (Service d’aide aux victimes des deux Bâle), la Literaturhaus Basel et le collectif Q.U.I.C.H.E. Dans le cadre de l’exposition, le Musée Tinguely présente aussi la performance de Tyra Wigg, The hand, the rock, your shoulder, and my mouth (2022), au cœur de laquelle ressortent le toucher comme expression de violence et le toucher comme soin et pratique thérapeutique. Par le maniement d’une grosse pierre, par l’approche attentive et curative du corps et son trauma, c’est un véritable contrepoids qui prend forme.

À l’occasion de l’exposition, une publication (environ 50 pages) avec une contribution scientifique et une interview est publiée chez Verlag für moderne Kunst.

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