En 2007, une équipe internationale de linguistes et de locuteurs originaires de Suisse, France et Italie s’est attelée à une tâche particulière: traduire un album de Tintin qui se déroule en Suisse et en Savoie dans la langue vernaculaire locale, l’arpitan.

L’arpitan  (souvent mal nommé « francoprovençal », et de façon courante et populaire « le patois »), est une langue qui existe à l’état purement dialectal autour du Mont-Blanc, jusqu’en Franche-Comté et dans les Monts du Lyonnais. En voie de disparition, elle suscite pourtant toujours l’intérêt d’universitaires du monde entier, et de la création littéraire et théâtrale, essentiellement en Savoie (du Chablais à la Maurienne), en Vallée d’Aoste (Italie), dans une poignée de communes valaisannes, fribourgeoises et vaudoises (Suisse).

Dans «L’afére Pecârd», traduction de la célèbre L’affaire Tournesol parue en 2007 aux éditions Casterman, Tintin et les autres héros évoluent pour une moitié de l’album en ArpitanieGenève, Nyon, Rolle, Sciez-sur-Léman, Bons-en-Chablais, Cervens… On reconnaît clairement certains lieux dans l’album publié en 1956. Le véhicule des ravisseurs porte une plaque d’immatriculation rouge, correspondant aux zones franches savoyarde et gessienne autour de Genève. Les traducteurs/adaptateurs ont tenté, « autant que faire se peut », de faire coïncider le plus de monde avec la région concernée.

Devant la gare CFF de Genève-Cornavin…
… ou dans un village savoyard qui ressemble à Bons-en-Chablais, où apparaît une croix de Savoie.

Bien qu’il soit reconnu que Moulinsart se situe dans le Brabant wallon, en Belgique, ils ont fait parler le petit monde du château en patois lyonnais-forézien, mais Tintin, le héros mythique, parle savoyard, car la Savoie est une des régions arpitanes où les parlers sont le plus vivants et il fallait bien quelqu’un pour la représenter.

En Suisse romande, en particulier dans le canton de Vaud (Nyon, Rolle), les parlers sont assez différents et de Lyon et de la Savoie du Sud, seule Genève se rapproche fortement de ceux de la Savoie du Nord toute proche. L’automobiliste italien qui renverse Haddock page 36 n’est plus de Milan, mais d’Aoste. Enfin les Syldaves et les Bordures parlent un arpitan plus standardisé, où les formes les plus belles et les plus courantes sont mises en valeur.

La Boucherie Sanzot devient Montandon, comme ici à La Chaux-de-Fonds.

Car l’arpitan est une langue qui connaît une grande quantité de variétés, surtout phonétiques, mais pas seulement. Aussi, il lui fallait une orthographe supra-dialectale, englobante, comme il en existe pour les autres langue régionales (breton, basque, occitan) ou nationales. Celle de l’arpitan s’appelle Orthographe de référence B (ORB), elle est comme les autres langues romanes d’inspiration étymologique, morphologique et dérivative. Une graphie codifiée qui, à l’image de celle du romanche en Suisse, fait face à des conservatismes: les anciens sont habitués à l’orthographe basée sur la phonétique du français. Même si elle n’est pas approuvée par tous, l’utilité d’une graphie commune à été parfaitement expliquée par la Fédération internationale de l’arpitan.

« Les voilà! Ils vont vers la Savoie », juste avant de débarquer au port de Sciez-sur-Léman.

Le professeur Tournesol devient Pecârd, rendant ainsi hommage à celui qui inspira Hergé: le savant vaudois Auguste Piccard. L’album, toujours disponible, avait alors été présenté en 2007 dans les différentes régions concernées, par exemple à la caserne des pompiers de Nyon, à la bibliothèque de Cervens ou encore au palais de Rumine à Lausanne.

Les Aventures de Tintin: L’Afére Pecârd. En vente chez Casterman.

Plus d’info ici: arpitania.eu © Casterman, 2019.