« Des étrangers, les Savoyards, inondent la France et portent préjudice au pays »

Voici quelques passages d’une affiche placardée sur les murs de Paris vers 1850. Elle est signée: “Un ouvrier”. Elle visait les Savoyards qui allaient gagner leur vie dans la grande ville française. Il faut dire que la Savoie ne sera annexée par la France que dix ans plus tard, en 1860, soit 30 ans après l’Algérie!

Remplacez le mot “Savoyards” par “Rroms” ou “musulmans”, les bouc émissaires d’aujourd’hui, et ce texte nous renvoie alors à ce racisme toujours plus assumé et qui gagne du terrain partout dans le monde et notamment en France.

“Des étrangers, les Savoyards, inondent la capitale. Cette peuplade envahissante porte un grand préjudice au pays. Ne serait-il pas temps d’y mettre un terme et d’arrêter ce torrent qui déborde sur la France?

Le gouvernement doit protection à la classe ouvrière… Est-il juste que des étrangers viennent moissonner les ressources du pays?”

Il y a en France 94 000 Savoisiens. Ils sont économes, gagnent beaucoup et dépensent peu ; le moins qu’ils peuvent mettre de côté chaque année s’élève au minimum à 500 francs. Je ne veux pas qu’on dise que j’exagère: je réduis cette somme de moitié ; je multiplie 250 par 94 000: cela donne la somme de 23 MILLIONS 500 000 francs! Cette somme est enlevée au commerce de détail. Soyons généreux, mais que cette générosité ne soit pas douloureuse!

De quelle utilité nous sont les Savoyards? Quelle industrie ont-ils apportée en France? Si ce n’est elle de nous agripper nos pièces de 5 francs!

Les commissionnaires de tous les chantiers de Paris sont Français. Mais le travail est enlevé par les Savoyards et ces malheureux restent les bras croisés. A toutes les stations des chemins de fer: partout des Savoyards! La banque, le Trésor, les messageries, les hôtels de vente, tous les grands établissements: partout des Savoyards… Ils envahissent jusqu’aux sellettes des malheureux décrotteurs, les ponts, les quais, les boulevards, les rues: toujours des Savoyards!

Les pièces de 5 francs qui entrent dans leur gousset n’en ressortent plus!

En Savoie, ils appellent la France leur Californie. Expatriez-vous, Français! Faites place aux Savoyards! On a bien crié, bien fait du bruit contre les Jésuites, mais les Savoyards sont mille fois plus onéreux par leur empiétement continuel…

Ce n’est pas tout: ils ont causé la ruine de plusieurs de nos établissements ; ils empêchent beaucoup d’autres de se former.

S’ils n’étaient pas là, on ne verrait plus d’ouvriers sans ouvrages, plus de domestiques sans place, plus de vagabonds…

Il y a parmi eux des fils de fermiers, des gens aisés. Seuls les malheureux restent dans leurs pays pour cultiver les terres.

Serait-il donc injuste d’exiger une parcelle des trésors qu’ils nous enlèvent chaque année? Ne serait-il pas bien de leur imposer de payer un impôt (patente) de 2 F par mois, 24 F par an: cette somme serait affectée à quelques maisons de retraite, pour des personnes âgées et sans ressources?…

Cette pétition, devant être présentée de nouveau à la Chambre nouvelle, est-il un Français riche comme pauvre, qui refuserait de donner son adhésion?

“Signaler un abus, c’est faire acte de bon citoyen”.

Texte retrouvé par l’Académie salésienne, Annecy. Fondée en 1878, elle constitue l’une des plus prestigieuses Sociétés savantes de Savoie à caractère scientifique, historique et littéraire.

 

DOCUMENTS

Carte de la France sans la Savoie.
Carte de la France sans la Savoie.


Carte de la France, un peu moins d’un siècle avant l’annexion de la Savoie.


Les définitions données par les dictionnaires français d’alors:

— « Savoyard : homme sale, grossier et brutal, on emploie le mot savoyard par mépris », (Dictionnaire Universel, Paris 1834)
— « Savoyard : dans un langage très familier, on emploie ce mot pour désigner un homme grossier, rustre », (Dictionnaire des Dictionnaires, Paris 1837)
— « Savoyard : paysan grossier, ramoneur, employé comme injure au XIXe siècle », (Dictionnaire de langue Française de Paul Robert, Paris 1989).

Sur l’intégration des Savoyards en France, dont le pays a été annexé grâce à un référendum truqué (pas de bulletins NON, pas d’isoloirs, une occupation militaire française pendant le vote et des récalcitrants emprisonnés):

« Nous avons autour de nous une conspiration permanente contre tout ce qui est français. Les Savoyards se soutiennent… Tous s’entendent, du premier au dernier ; que le gouvernement le sache bien ; s’il veut venir à bout de ce pays, s’il veut l’assimiler, qu’il change les fonctionnaires savoyards, qu’il maintienne ceux des Français qui ont assez d’énergie pour résister. »  Extrait du rapport du sous-préfet de Saint-Julien-en-Genevois, 8 juin 1874 (Cité par Jacques Lovie, “La Savoie dans la vie française de 1860 à 1875”, Paris, Presses Universitaires de France, 1967).

A l’époque, la grande majorité des Savoyards parlait arpitan.

Photo d’accroche: L’Illustration, Journal universel, Paris (1860).