Des expositions de qualité et des tables rondes au programme de la 23e édition du Festival de la BD Fumetto à Lucerne, dont le succès ne se dément pas.
Il faut dire que l‘évènement, qui dure jusqu‘au 13 avril, s‘est imposé comme l‘un des festivals consacrés au neuvième art les plus en vue. Sa programmation tissée avec soin par ses organisateurs entre différents lieux dispersés dans la ville lacustre de Suisse centrale y est sans doute pour quelque chose.
L‘artiste sud-africain Robin Rhode, actuellement basé à Berlin, présente une sélection d‘oeuvres au sein du magnifique Kunstmuseum de Lucerne. Sa réflexion, centrée sur la politique, les hiérarchies sociales et la recherche d‘identité, se retrouve dans des performances basées sur ses propres illustrations d‘objets avec lesquels il interragit. C‘est finalement les photographies de ces interractions qui sont exposées.
Une Genevoise dans le vent
Avec son roman grapique “Luchadoras”, l‘auteure genevoise Peggy Adam s‘est retrouvée en 2007 dans la Sélection officielle du Festival international de la bande dessinée d‘Angoulême. L‘histoire est inspirée par des fait divers sanglants survenus dans une ville mexicaine à la frontière états-unienne, et dont les victimes sont des centaines de femmes. Un sens de l‘obervation aiguisé et un humour affûté se retrouvent dans ses nombreuses publications dont certaines sont des carnets de voyages. Outre ses Luchadoras, Fumetto expose de magnifiques planches et illustrations originales issues de son dernier ouvrage, La Gröcha.
La BD “venue du froid” est également à l‘honneur à travers une exposition et une table ronde sur l‘édition finnoise qui attire l‘attention internationale ces dernières annés.
Éditeurs indépendants
Autre débat particulièrement intéressant en cette période difficile, “l‘édition aujourd‘hui”. Animé par Lars von Törne, journaliste culturel au quotidien berlinois Tagesspiegel, il a réuni les éditeurs britannique Sam Arthur (Nobrow), belge Thierry van Hasselt (Frémok), francais Jean-Christophe Menu (L‘Apocalypse) et allemand Johann Ulrich (avant-verlag).
Tous ont une politique éditoriale exigente. Le Britannique et le Belge avouent travailler le plus souvent sans rémunération, parfois soutenus par l‘une ou l‘autre subvention. Le Français a quitté il y a 3 ans L‘Association (maison d‘édition qu‘il avait co-créée, éditrice du best-seller “Persepolis” de Marjane Satrapi) pour monter une nouvelle structure indépendante. Il confesse avoir été un peu trop ambitieux, sa maison d‘édition pouvant facilement s‘écrouler faute d‘avoir un “Persepolis” rémunérateur au catalogue, permettant de publier nombre de beaux ouvrages sans se soucier de la trésorerie… La situation est difficile, surtout quand on sort comme lui du cadre strict de la bande dessinée. “C‘est difficile, surtout en France où l‘on vous colle d‘office une étiquette sur le front.” Il faut rentrer dans des catégories claires pour éviter de déstabiliser diffuseurs, libraires et grand public. Menu sort des cases, refuse l‘étiquette, quitte à en payer le prix fort. “Quoiqu‘il arrive, je ne regretterai rien. La vie est courte”, conclut-il.
Johann Ulrich quant à lui, met l‘accent sur des histoires à caractère politique “afin que la presse s‘y intéresse car si l‘on veut vendre nos albums, il faut que des articles paraissent dans les journaux”. Une politique éditoriale de qualité, mais dont la contrainte économique balise les choix. Une manière de faire plus pragmatique. Et moins passionnée?
Vers le tout numérique?
L‘édition papier, un combat d‘arrière-garde, face au développement du numérique? Aucun des intervenants ne croit à la fin du livre imprimé, qui peut être un bel objet, “qui se laisse toucher et sentir”, pour reprendre les mots du modérateur. Mots qui feront éructer un “pervers!” de la bouche d‘Ulrich. Trois secondes de silence. Menu reprends: “C‘est vrai que si un livre a une mauvaise odeur, on on peut jeter les exemplaires”.
Un récent sondage du Guardian de Londres montre que la bataille n‘est pas perdue: 62% des 16-24 ans intérrogés disent préférer à les livres imprimés1. “Faire quelque chose d‘interractif pour tablettes tactiles à partir d‘une BD, pourquoi pas. Mais scanner une BD pour la lire sur un écran n‘a pas grand intérêt”, estime Johann Ulrich.
Une exposition, «Motion Comics» (la BD en mouvement), se positionne au cœur du débat, avec une sélection de projets innovants qui réinventent la bande dessinnée au travers des nouvelles technologies.
Il vous reste encore quelques jours pour découvrir l‘ensemble des expositions officielles et officieuses. Le programme est ici.
Photo Monica Tarocco