Le village transfrontalier composé de deux communes, l’une valaisanne, l’autre savoyarde, « fête » cette année « 450 ans d’amitié franco-suisse ». Cette dénomination, qui prend des libertés avec l’Histoire, fait polémique dans toute la Savoie historique: en effet, celle-ci n’est française que depuis 159 ans et le Valais n’est suisse que depuis 204 ans. 

C’est une tribune libre publiée initialement dans Le Faucigny*, qui a mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux. Le Chablaisien Alain Pittard a souhaité remettre les pendules à l’heure concernant les faits, quitte à choquer le comité d’organisation des 450 ans d’amitié franco-suisse à Saint-Gingolph qui souhaite seulement « fêter une histoire d’amitié, de solidarité et de fraternité » et « faire connaître notre village et sa spécificité ».

Il faut dire que l’Histoire de la Savoie, ancien pays européen annexé par la France en 1860 seulement, soit trente ans après l’Algérie, est source de polémiques. L’Histoire du territoire n’y est pas enseignée: comme au temps des colonies, c’est celle de « nos ancêtres les Français » qu’apprennent les petits Savoyards depuis 1919, année où les manuels d’Histoire locale ont été brûlés dans les cours d’école.

Alain Pittard rappelle qu’en 1569, lors du Traité de Thonon « fêté » par Saint-Gingolph, « il n’est nulle question de la France ou de la Suisse, mais bien de la Savoie et du Valais. L’ensemble du Chablais était non seulement l’une des provinces de la Savoie, mais en plus était un duché à part entière depuis 1238 grâce à l’empereur germanique. Il est actuellement divisé en Chablais vaudois, Chablais valaisan et Chablais savoyard. Lorsqu’en 1536, Berne a envahi le Pays de Vaud, savoyard lui aussi, et une partie de cet ancien Chablais, c’est en les incendiant et en les pillant. Ainsi, Saint-Gingolph s’apprête à fêter l’éclatement de sa province d’origine, le Chablais, qui s’est fait dans le sang, le feu et le pillage. Cela devrait donc être un jour de deuil pour l’ensemble du Chablais et non pas un jour de fête pour Saint- Gingolph! »

De son côté, le comité d’organisation par la voix de Joël Grandcollot, rejette dans une réponse l’ensemble des griefs exposés par Alain Pittard: « oui, nous aurions pu organiser cet événement sous la bannière « 450 ans d’amitié savoiso-valaisanne », mais nous ne nous arrêtons pas à un titre. À Saint-Gingolph les identités s’additionnent et se mélangent plutôt qu’elles ne s’opposent les unes aux autres: savoyardes, valaisannes, suisses, françaises, européennes, humanistes. S’y est même forgé une culture de l’accueil et de l’ouverture sur le monde que l’on perçoit jusque dans les multiples cultures et couleurs qui peuplent notre village sans frontière. Il y résonne bien plus souvent l’air des « Allobroges » [l’hymne savoyard, ndlr] ou de « Marignan » que les notes de « La Marseillaise » ou du « Cantique suisse ».

Toujours selon le Comité, Alain Pittard promeut « une Histoire sélective, qui omet les événements positifs mais qui met en lumière les querelles sanglantes ». « N’est-ce pas la Suisse qui a sauvé 350 Gingolais savoyards et français de la mort en 1944 quand l’occupant mettait le feu au village ? N’est-ce pas la France et la Suisse via nos deux communes qui s’entre-aident pour entretenir la Morge, torrent-frontière pourtant 100% français? N’est-ce pas la Suisse et les élus chablaisiens vaudois et valaisans qui se proposent d’aider les élus du Chablais français à rouvrir la ligne du Tonkin au trafic voyageur? »

Pour Laurent Blondaz, président du Mouvement Région Savoie (MRS), il ne s’agit pas de nier les liens d’amitié entre les deux Saint-Gingolph, mais de respecter les faits historiques.« Il s’agit soit de méconnaissance culturelle » de la part du Comité de Saint-Gingolph, soit « d’une bourde » qu’il faut reconnaître. « Pourquoi pas, au lieu de garder la problématique appellation « Saint-Gingolph fête 450 ans d’amitié franco-suisse », utiliser les mots justes? « Saint-Gingolph commémore 450 ans d’Histoire valaiso-savoyarde et franco-suisse », par exemple, en ajoutant « Fête de l’amitié transfrontalière ». Ne réécrivons pas l’Histoire! ».

Qu’en pense Tintin, le petit reporter belge à l’honneur actuellement au Château de Saint-Gingolph, qui lui-même a remis l’Histoire à sa juste place dans Le Lotus Bleu en 1936 (l’album fait allusion à l’incident de Mukden, prétexte à l’invasion japonaise de la Mandchourie et prélude à la terrible guerre sino-japonaise de 1937)?

Le programme de la fête des 29 et 30 juin prochains n’est pas encore sorti. Va-t-on trouver le moyen de réconcilier tout le monde?

* « SOS Amitié Franco-Suisse », à lire sur le site de l’hebdomadaire savoyard Le Faucigny.
Le programme des 450 ans se trouve ici: 450ans.st-gingolph.com