Deux sénateurs savoyards ont déposé au sénat français un projet de loi, pour corriger l’absence du tracé Machilly-Thonon dans le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) du Bas-Chablais. Une tentative de régularisation contournant les procédures habituelles, notamment en terme d’impact environnemental, dénoncée par les opposants au projet, réunis sous la bannière « Pour une autre politique des transports dans le Chablais ».
Dans leur exposé des motifs, les sénateurs Cyril Pellevat et Sylviane Noël décrivent le projet, déclaré « d’utilité publique » en 2019, comme ayant pour vocation de « compléter l’offre de transports, collectif comme individuel, du Chablais » et étant « ancré dans la démarche de transition écologique, et exemplaire d’un point de vue de son insertion environnementale ». Un point de vue contesté notamment par l’association de concertation et propositions sur les transports (ACPAT). Son co-président, Jean-Pierre Burnet, considère que voter une telle loi de circonstance serait un « déni de démocratie de la part de certains élus de l’agglomération » de Thonon-les-Bains, ajoutant qu’un certain nombre ce ces derniers « n’admettent pas que le passage d’une révision d’un PLUi pour y ajouter une autoroute qui avait été judicieusement oubliée lors de sa rédaction soit nécessaire ».
Le collectif d’opposition à l’autoroute rappelle que « les lois sur l’urbanisme sont censées être les mêmes sur tout le territoire [français], et les enquêtes publiques qui ont lieu avant l’adoption des PLUi et autres documents d’urbanisme doivent fournir une information éclairée au public, à défaut de voir les avis divergents réellement pris en compte ». Le PLUi du Bas-Chablais, qui a été adopté en février 2020, est un document d’urbanisme qui détermine les conditions d’aménagement et d’utilisation des sols et a un caractère obligatoire et opposable. « Postérieur à la déclaration d‘utilité publique [de l’autoroute], il annule donc les mises en conformité et la réservation de l’ensemble des terrains concernés par l’autoroute ! Ainsi en décembre 2021, la Mission régionale d’autorité environnementale d’Auvergne-Rhône-Alpes révèle la non-conformité du PLUi et demande aux communes concernées, en particulier l’agglomération de Thonon-les-Bains, de le réviser en conséquence », ajoute-t-il.
Si la loi proposée par les deux sénateurs passe, ce serait un énorme gain de temps pour la concrétisation de ce vieux serpent de mer. C’est surtout « passer outre les procédures habituelles », notamment en terme d’impact environnemental. « Au-delà de la grossièreté de la manœuvre et de la piètre image qu’elle donne du sens de l’intérêt général et de l’état de droit dans notre pays, il est urgent de réorienter les transports dans le Chablais, à l’instar de nombre de nos territoires périurbains et ruraux, avec un autre projet politique : une politique qui favorise les transports en commun et qui en finisse avec le tout routier, une vision totalement obsolète à l’heure de l’urgence climatique absolue« , conclut le communiqué.
Entre carence de transports publics et destruction d’espace agricoles et de biodiversité
C’est pour ces raisons, mais aussi pour éviter un effet d’engorgement de leurs centres, que les villes de Genève et Carouge ont fait recours contre ce projet « d’une autre époque » qui longe et fait concurrence à la ligne du réseau ferroviaire Léman Express. Elles se sont alliées à différentes associations écologistes, de chasseurs et à un syndicat paysan. Mais les recours ont été rapidement rejetés par le Conseil d’état français.
Dans le Grand Genève français, les transports publics vers la ville-centre se développent de manière plutôt efficace, surtout autour d’Annemasse, mais souffrent d’un sous-développement évident du côté de Chablais savoyard, où les élus privilégient toujours le développement autoroutier. L’exemple le plus parlant est le fameux « bus à haut niveau de service » qui aurait dû voir le jour en décembre 2019 sur l’axe Genève-Thonon et dont plus personne n’ose avancer de nouvelle échéance. Le bus de rabattement qui devait relier les communes lacustres à la gare Léman Express de Perrignier, perdue entre forêt et zone industrielle, devait quant à lui être mis en service fin 2022… On l’attendra encore.
Justifiant l’utilité du projet d’autoroute chablaisienne, le vice-président et responsable de l’aménagement du territoire du conseil départemental de la Haute-Savoie, Nicolas Rubin, déclarait à nos confrères du Temps le 13 janvier dernier: «Si le Léman Express répondait complètement aux attentes, nos communes ne seraient pas traversées par des milliers de véhicules». Ce à quoi des usagers du Léman Express répondent sur un groupe facebook dédié: « qu’ils mettent plus de trains! Nous sommes serrés comme des sardines aux heures de pointe. Doublez et modernisez la voie Evian-Annemasse. Faites un vrai transport efficace sur la [route] départementale 1005. Comment voulez-vous que les gens qui hésitent abandonnent la voiture dans ces conditions? » Sur cette route, justement, selon une brochure du conseil départemental de la Haute-Savoie, le trafic diminuerait seulement de 2 à 10% avec l’autoroute, ne précisant pas si la forte croissance démographique annuelle est prise en compte.
En attendant, les sénateurs sont appelés à se prononcer sur le projet de loi le 31 janvier 2023.