Le gouvernement fédéral mexicain a annoncé l’entrée du pays dans la phase 2 de transmission du Covid-19 et appelé la population à « rester chez soi ». Illusoire dans un pays où le droit du travail reste lettre morte et dans lequel près de la moitié des 128 millions d’habitants vit sous le seuil de pauvreté. Pour eux, les recommandations de base ne sont tout simplement pas applicables.

Si le premier cas de Coronavirus a été détecté dans la Capitale le 28 février, le virus est entré en force dans le pays par l’intermédiaire d’un groupe de 400 personnes issues de l’élite mexicaine partis en vacances de ski dans la station étasunienne de Vail (Colorado), et ce malgré l’urgence sanitaire internationale. En contact avec des Italiens contaminés, ils ont propagé le Covid-19 à leur retour dans leurs familles et sur leurs lieux de travail, mais aussi dans les bars, clubs, festivals de musique et plages. À ce jour, le pays compte près de 600 cas positifs pour 2000 cas suspects et 8 morts.

Alors que le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador, dit AMLO, tente de ne pas semer la panique dans le pays en continuant de serrer des mains et en prenant dans ses bras les habitants lors de ses sorties, son sous-secrétaire à la Santé prend soin d’expliquer sérieusement la situation et les mesures prises de manière anticipée ou bientôt appliquées par le gouvernement: fermeture des écoles et universités, puis des lieux publics non-essentiels, et enfin un isolement préventif (non-obligatoire) et le fait de garder une « saine distance » entre les personnes. Le but étant de trouver un « équilibre entre la protection de la santé et celle des économies les plus fragiles ».

Starbucks et Burger King « profitent d’une situation de crise »

Il faut dire qu’ici, moins de la moitié du pays peut se permettre de se confiner. Pour la majorité, il est impossible de cesser de travailler, parce qu’il n’y a pas de droits du travail qui le permette, pas de syndicats forts qui protègent les salariés, rien qui garantisse les moyens de subsistance quotidiens. Sans compter une économie informelle qui compte près de 30 millions de travailleurs – vendeurs ambulants ou sur des stands de fortune au coin de la rue, devant leur maison ou à la sortie du métro – beaucoup vivent au jour le jour. Avec ou sans coronavirus, il n’y a pas de répit pour eux. C’est « le Mexique de ceux qui ne savent rien du coronavirus, mais tout de la survie », comme l’a titré le quotidien El País.

Pour les employés des chaînes multinationales, ce n’est pas beaucoup mieux. La crise vient leur rappeler la violence et l’injustice d’un pays sans protection salariale: le groupe Alsea, qui gère notamment Starbucks, Burger King et Domino’s Pizza, a imposé une « absence volontaire » – donc sans salaire – pendant 30 jours à ses travailleurs. La seule chose que semble pouvoir faire le gouvernement, c’est de tancer les entreprises: « Il ne faut pas exagérer et profiter d’une situation de crise pour faire des choses incorrectes. C’est un mauvais exemple qu’ils sont en train de donner », a dit mollement le chef d’État, appelant les entrepreneurs à « avoir une dimension sociale » et à ne pas être « injuste ». Pas de quoi faire trembler les grands patrons.

« Le virus ne touche que les riches, les pauvres sont immunisés »

Pendant ce temps Miguel Barbosa, gouverneur de l’Etat de Puebla et membre du parti présidentiel, trouble le message fédéral en tentant de dédramatiser la situation: il balance un vieux stéréotype selon lequel les mauvaises normes sanitaires du pays auraient renforcé leur système immunitaire en les exposant à des bactéries: « la majorité [des personnes atteintes par le coronavirus] sont des gens riches. Si vous êtes riche, vous êtes à risque. Si vous êtes pauvre, non », a-t-il déclaré. Et d’ajouter: « Nous les pauvres, nous sommes immunisés. »

Ceci n’a jamais été scientifiquement prouvé et pourrait mener une partie de la population, déjà encline à ne pas prendre le virus trop au sérieux, à ne rien faire pour se protéger. Avec pour conséquence une propagation trop rapide dans un pays qui n’a que 1,38 lits d’hôpital en « soins aigus » par habitant contre 3,56 en Suisse et 6,02 en Allemagne. Certes l’armée est appelée à la rescousse et des hôpitaux gonflables ont été installés pour parer à l’affluence de malades, mais cela sera-t-il suffisant face à la terrible réalité que vit le Mexique? 25 million d’habitants n’ont pas accès à l’électricité ou à l’eau, et n’ont donc pas la possibilité de se laver régulièrement les mains. Il faut ajouter à cela 96 millions de personnes – soit plus de septante-pour-cent de la population – qui sont en surpoids ou souffrent d’obésité. Le diabète, dans ce pays profondément coca-colonisé, touche un peu plus de 12 millions de Mexicains. Cela peut être fatal quand le Covid-19 s’en mêle.

Le gouvernement se veut optimiste

Enfin, les cas de dengue se multipliant dans les régions chaudes et humides, et la rougeole faisant son retour dans la capitale, ce sont des mois particulièrement difficiles qui attendent les Mexicains… Sans compter que la tension économique pourrait encore aggraver la criminalité qui gangrène le pays.

Lors d’une conférence de presse, le sous-secrétaire d’État à la Santé a souligné que, même si le Mexique entrera bientôt dans la phase 3, les habitants pourraient cesser d’appliquer les recommandations d’isolement social et de distanciation « le 19 avril déjà, selon les calculs des spécialistes du secteur de la santé », si la population joue le jeu. Il ajoute cependant que « les conséquences de l’épidémie de coronavirus Covid 19 affecteront le pays jusqu’en octobre » et « que la pandémie pourrait atteindre un pic en août prochain », puisque le rythme de propagation est plus lent qu’en Europe en raison des mesures anticipées prises par le gouvernement.